L’obscurantisme religieux de retour aux affaires

Publié le 15 Juillet 2022

Après un XXe siècle sur le reculoir, les religieux de tout poil reviennent en force dans les coulisses du pouvoir, portés notamment par les populations que le capitalisme a jetées dans la misère. Mais sur tous les continents, les fondamentalistes prennent toute leur part dans le recul des droits des femmes ou des minorités, dans l’installation d’autocraties ou dans les conflits les plus sanglants.

Religion et capitalisme s'entendent bien © Alex Morales

Ils ont régné sur les consciences durant des siècles et des siècles, niant même cette conscience chez les « sauvages » qu’ils ont asservis à leurs dogmes dans le sillage des armées coloniales, de leurs razzias et de l’esclavage. Les soldats de la foi, prédicateurs avides de prosélytes soumis, ont eu, pendant près de 2 000 ans, pouvoir et richesses et massacré ou poussé aux massacres au nom d’un Dieu miséricordieux, préservant positions et possessions, toutes bien terrestres. La Révolution française, Mai-68, la démocratie et la laïcité, et même cette nouvelle religion qu’est le capitalisme décomplexé, avaient quelque peu érodé leur emprise sur les sociétés civiles.Les Lumières, la science et l’éducation républicaine ont donné d’autres clés de compréhension du monde et surtout d’émancipation des peuples.

Mais religions et capitalisme débridé vont de pair. Quand le second réduit en misère des millions de personnes, la première récupère des millions de fidèles, de grandes richesses et constituent des lobbies très puissants. Les pouvoirs religieux sont de retour depuis 50 ans dans le sillage de l’ultra-libéralisme fomenté sous l’ère Reagan-Tatcher et de leurs idéologues les économistes Friedman et Hayek. Plus les inégalités ont progressé, plus le sentiment d’injustice a jeté les populations victimes dans les bras des prédicateurs et des gourous, dans l’espérance d’un sauvetage divin ou pour le moins d’une écoute de leur détresse.

« Le XXI^e siècle sera spirituel ou ne sera pas », aurait (citation apocryphe ?) dit Malraux le philosophe, même si pour lui, l’antifasciste, la spiritualité n’était pas l’exclusivité de la religion. D’aucuns n’ont pas fait la distinction et transformé cette pensée en : « Le XXI^e siècle sera religieux ou ne sera pas. » Ceux-là, quelle que soit leur idéologie, n’avaient pas tort.

Les religieux sont dans les couloirs des pouvoirs quand ce n’est pas directement sur le trône. L’Iran a essuyé les plâtres de cette nouvelle vague avec l’avènement du chiite Khomeini en 1979. La marche forcée du développement économique et libéral des années 1970 imposée par la monarchie absolue du Shah, alliée à la répression de la Savak, a précipité la majorité miséreuse du peuple iranien sous l’emprise de la rhétorique du mollah, couvé par la France et les États-Unis.

Les formes de pouvoirs religieux et de théocraties sont aussi diverses que les lectures littérales ou biaisées ou partielles des saintes écritures et des traditions culturelles. Pour autant, les complotistes illuminés seront déçus, il n’existe pas de complot mondial religieux. Il n’y a pas non plus de sociétés secrètes de calotins ou d’enturbannés saignant les enfants dans des cryptes. Il y a juste des prêtres pédocriminels imbus de leur pouvoir sur les enfants de chœur mais d’une terrible banalité dans leur dérive abjecte. Ou des allumés de la kalachnikov et du Coran, version originale, et persécuteurs de jeunes filles et de tout autre individu qui ne pense pas comme eux.

« In God we trust »

Religion is terror © Joachim Fenkes

Aux États-Unis, les cowboys, adeptes du port d’arme à tout moment de la journée, invoquent le droit divin.¹ Les Pères fondateurs ont bien rédigé un premier amendement qui, en théorie, sépare État et religion. Mais dans l’exercice du pouvoir, présidents et parlementaires les plus conservateurs gouvernent avec les slogans : « In God we Trust » ou « One Nation under God ». Trump, qui se vante de prendre les femmes « par la chatte » et qui n’a aucune éthique, s’est appuyé sur les évangélistes qui n’ont pas rechigné à dicter leur catéchisme. Les liens de ces fous de Dieu avec l’extrême droite la plus dure mettent un couvercle de conservatisme sur les droits gagnés de haute lutte. Les femmes (droit à l’avortement, contraception), les LGBT (mariage gay et même relations sexuelles), sont les premières victimes² des culs bénits désormais majoritaires à la Cour suprême. Le travail de sape des religieux dans ce « grand pays des libertés » commence dès l’école. Devançant même le trumpisme, états conservateurs et évangélistes ont édicté des lois régressives et jeté au pilon les livres scolaires de science au profit du créationnisme, thèse qu’ils ont même réussi à disséminer dans une partie du monde musulman (Turquie, Indonésie) alors que le Coran ne propose pas de Génèse.³ Pour le créationnisme Jeune-Terre,⁴ le plus fondamentaliste, la Terre, centre de l’univers, est apparue en 4004 avant Jésus-Christ et les fossiles de dinosaures, vieux de 60 millions d’années, ne sont que des essais ratés du Bon Dieu. Les paléontologues sont vraiment des suppôts de Satan. Dans ce pays où la laïcité puise dans la Révolution française, le prosélytisme évangélique est partout.^{5 & 6}

De leur côté, pour ne pas avoir d’explications vaseuses à donner pour expliquer les mystères de l’univers, les fondamentalistes musulmans, quand ils ne s’étripent pas entre chiites et sunnites, comme l’ont fait cathos et protestants, suppriment l’école pour les filles et lavent les jeunes et malléables cerveaux de leurs fils dans des écoles coraniques, histoire de leur apprendre à mettre la gent féminine et impure sous cloche et à décapiter les voleurs et apostats proprement. Allah est bon.

En Afghanistan, les Talibans ont rétabli une théocratie obscurantiste et à nouveau plongé le peuple dans les ténèbres de leurs circonvolutions coraniques et de leurs règles absconses. Côté économique, le marché des petites filles se porte bien, merci.⁷ Côté kalachnikov, les voilà confrontés à d’autres musulmans tout aussi excités, ceux de l’État islamique. Allah n’est que fraternité.

Crimes avec la bénédiction des orthodoxes

En Russie, Poutine, soviétique bon teint, ne fait pas plus sa prière du soir que Trump. Mais, lui aussi a compris tout la nécessité de s’acoquiner avec les religieux et l’incontournable lobby de l’Église orthodoxe russe. Son chef de guerre, le patriarche Kirill, est l’un des dignitaires religieux les plus puissants du monde, avec plus de 100 millions de fidèles revendiqués. Ce chef spirituel, miséricordieux, apporte bruyamment sa bénédiction divine aux exactions et autres crimes de guerre des troupes poutiniennes en Ukraine, mercenaires de Wagner et Tchétchènes. Dieu n’est qu’amour…

Dans la Turquie del’autocrate Erdogan, venu lui-même de l’islam politique, islamisme et nationalisme font bon ménage. Il se sert des Frères musulmanspour faire monter en pression la marmite de l’islamophobie en Europe afin de se présenter en protecteur des musulmans européens, même s’il n’a pas hésité à lâcher ces mêmes Frères en Égypte pour pouvoir fricoter avec son frère autocrate Al Sissi.

Au Brésil, Bolsonaro, l’illuminé et dangereux Trump de l’hémisphère sud, est soutenu à bout de bras (au ciel) par les puissants évangélistes (encore eux) brésiliens. Comme son modèle étasunien, il a nommé un juge « terriblement évangélique » à la cour suprême, pour tenter de verrouiller les leviers de son pouvoir.⁸

En Inde, Modi se sert des fondamentalistes hindous et de leur cohorte de dieux et déesses pour bouter les musulmans monothéistes hors du pays, quand ils ne les lapident pas. Le Pakistan voisin s’est construit dès sa création, en 1947, en massacrant ou rejetant les hindous par-dessus sa frontière toute neuve. Cette guerre de religion sert des revendications territoriales peu glorieuses, notamment au Cachemir. Par ailleurs, cette république, qui s’est construite sur la base de l’islam, est confrontée aux raids sanglants d’autres fous de Dieu, notamment l’État islamique.

En Tunisie, le peuple vient de comprendre qu’il s’est fait voler sa révolution : le président Saïed, juriste qui ne rigole jamais et profondément religieux, est un faux nez d’un islamisme radical. Même s’il a annoncé que la référence à l’Islam n’apparaîtrait pas dans son préambule, il s’est assis sur les propositions de constitution laïque et a martelé : « Dans la prochaine Constitution de la Tunisie, nous ne parlerons pas d'un État dont la religion est l’islam mais (de l’appartenance de la Tunisie) à une Oumma (nation) dont la religion est l'islam. La Oumma et l’État sont deux choses différentes ».⁹ Après s’être présenté comme l’homme providentiel de la démocratie naissante, il vise à devenir messie au pouvoir absolu. Il a réduit le parlementarisme à une portion congrue et, s’il a viré les islamistes d’Ennahdha, c’est qu’ils pouvaient lui faire de l’ombre dans son ascension autocratique et théocratique.

Patriotisme et foi

En Europe, la Pologne se construit ces dernières années un nationalisme catholique avec un fond d’antisémitisme toujours présent. L’armée polonaise devient même le fer de lance du catholicisme offensif. « L’objectif des forces de la défense territoriale devrait être de renforcer les bases patriotiques et chrétiennes de notre système de défense et des forces armées, pour que le patriotisme et la foi des soldats polonais soient les meilleurs garants de notre sécurité et pour permettre la mise en œuvre effective du programme de reconstruction de l'armée polonaise », expliquait le ministre de la Défense polonais, Anton Macierewicz en 2016.¹⁰Un an plus tôt, le jeune (2001) parti Droit et Justice (PiS) gagnait les législatives avec l’aide des curés de campagne. Quelque temps plus tard, le droit à l’avortement est quasi supprimé.

En Hongrie, pour mieux asseoir son autocratie, Victor Orban cajole le catholicisme identitaire qui a repris en main l’éducation.¹¹ Là aussi, les droits des minorités sont effacés. En Israël, les juifs orthodoxes déploient toute l’influence et leur pouvoir de nuisance violente dans les allées du pouvoir corrompu par l’argent. Netanyahou, englué dans des scandales de corruption et qui compte bien revenir au pouvoir, a souvent misé sur les Juifs les plus extrémistes pour se maintenir.¹² Les Palestiniens des territoires occupés comme les Arabes israéliens subissent, en crèvent, et cette violence fait le lit d’un autre extrémisme, celui du Hamas, mouvement islamiste palestinien créé par des Frères musulmans.

Bolloré, plus près de Toi, mon Dieu

En France, pays laïc depuis plus d’un siècle, les cathos intégristes s’appuient sur les extrêmes-droites racistes, anti LGBT, anti avortement et omniprésentes dans les démonstrations de force de la Manif pour tous. Ils travaillent aussi leur influence conservatrice par le biais de l’éducation, de l’associatif et des amendements portés par des députés sympathisants. Le scandale du lycée parisien Stanislas, mis en lumière par Médiapart,¹³ est une illustration du prosélytisme très actif des bourgeois bigots et bigotes, adeptes de la messe en latin, peut-être parce qu’ils craignent que le petit peuple ne comprennent le sens de leur discours. Ils disposent désormais d’un allié de poids en la personne du (retraité?) Bolloré et de sa constellation médiatique. Plus près de Toi, mon Dieu… Les curés ont tribune libre sur Cnews et la couverture de Paris Match¹⁴ avec la trombine de l’ultra conservateur cardinal Sarah a fait quelque bruit dans le Landerneau parisien. Même si, dans son portrait, Labro a gommé les aspects les plus saillants du personnage, histoire de ne pas effrayer la mère de famille, il représente l’extrémisme bondieusard, opposé au pape jugé trop « progressiste », lecteur de la Bible version archéologique, à l’image des fous d’Allah pour qui, les métaphores du Coran sont à prendre au premier degré. La parité chez ces gens-là, ce n’est pas pour demain, le patriarcat fait rage.

Mais tout ça fait de bons chrétiens, de bons musulmans et de bons juifs.

Religions, armes de domination culturelle

La religion est une arme de domination culturelle et psychologique. Les textes sacrés sont des bréviaires maniant tellement la métaphore, l’allégorie, la périphrase, le symbole, l’hyperbole… et autres figures de style que toutes les traductions et interprétations sont possibles. Dans une querelle d’historiens, rien de grave. Mais quand ces différentes exégèses s’appliquent stricto sensu à la vie quotidienne de personnes sous influence, n’ayant pas toujours les outils de décryptage, les effets sont délétères, voire sanglants. Chaque théocrate y puise ses arguments de destruction massive du libre arbitre. Dans un monde ultra connecté où fausses nouvelles et théories complotistes se multiplient comme les petits pains, les interprétations religieuses, sectaires, mystiques, fanatiques peuvent s’épanouir, surtout quand les dirigeants politiques d’états en théorie laïques, s’appuient sur ces courants et leurs communautarismes pour asseoir leur pouvoir.

Les clergés, quand ils sont critiqués pour leurs excès de pouvoir, se réfugient derrière un pseudo-statut de porte-parole d’un discours divin qu’ils seraient les seuls, ou presque, à entendre et à savoir interpréter. Les théologiens sont un peu les sorciers du village. Ils prêchent l’amour et brandissent le glaive. Cavanna ne s’y trompait pas : « Qu’ont en commun les inquisiteurs, les brûleurs de sorcières, les massacreurs de populations au nom de la foi (soixante mille égorgés lors de la prise de Jérusalem pendant la première croisade), les bénisseurs d’armées, les pendeurs d’hérétiques, les incitateurs à l’assassinat pieux, les lapideurs de femmes adultères, les qui vont-à-la-messe, bouffent du foie gras et laissent un abbé Pierre leur astiquer la bonne conscience en se faisant le bouc émissaire de la charité ? Ils ont en commun le mot clé de tous les culs-bénits : AMOUR ».¹⁵

Mais ce n’est pas parce qu’ils parlent d’amour altruiste que les religieux de haut rang se contentent d’eau fraîche. Le pouvoir sur les masses, direct ou à travers les structures politiques en place, reste l’objectif. La dictature de Dieu (ou des dieux pour les Hindouistes) est un rêve pour ses représentants. Théocratie, néofascisme, nationalisme, impérialisme font route ensemble. Et pour arriver à leurs fins, les religieux savent utiliser les flux financiers du capitalisme ultra-libéral. Les scandales financiers de la banque du Vatican ont été révélateurs de la consanguinité entre les circuits financiers du capitalisme et le trésor de guerre de l’oligarchie des cardinaux. François a bien tenté de faire un peu de ménage, mais l’éthique financière n’est pas au programme du grand séminaire. Dans le monde islamique, c’est le pétrole, moteur presque exclusif du capitalisme mondialisé, qui finance les fous de Dieu. L’Arabie Saoudite et l’Iran arrosent, chacun dans son camp et à grande échelle, les régimes théocratiques avec de jolis scandales comme celui de l’« évaporation » du fonds souverain malaisien. Quant au Qatar, il subventionne les mercenaires d’Allah des groupes terroristes à travers la planète, groupes qu’il doit estimer d’utilité religieuse, mais est aussi très actif en France.¹⁶ Conservatisme religieux et impérialisme capitaliste sont des alliés d’opportunité.

Un petit boogie woogie ?

La musique est une religion fraternelle et bien humaine. © Susan Ackeridge

Bien sûr, il y a une grande majorité qui vit sa foi dans l’intimité, dans le respect des autres croyances et de ceux qui ne croient pas, même s’ils font parfois preuve de condescendance et de commisération envers ces derniers. Les agnostiques vont bien, merci. La solution à la détresse est-elle pour autant dans des croyances sans avenir, sans contact, sans chaleur avec des dieux sortis du fonds des âges sombres et entretenues presque exclusivement par des hommes dominants ? Il y a des années, je fus saisi, emporté par un chœur et un ensemble de percussions répétant des chants religieux dans une église du fin fond de la Casamance sénégalaise, le tout dirigé par un prêtre basque hétérodoxe dans sa vision de la musique religieuse. Je ne fus pas touché par le rayon divin mais par la vie et la chaleur très humaine qui émanait de ce groupe, avec la même énergie que ses membres émettaient lors de soirées ardentes au village, autour du feu, à évoquer les esprits et la présence ectoplasmique des anciens. Je suis aussi bouleversé par les chants négro spirituals et me laisse facilement ensorceler par un James Brown dirigeant une chorale gospel dans le film des Blues Brothers. La musique est un véhicule extrêmement puissant qui magnifie l’art populaire. Mais elle n’est pas la voix de Dieu ou d’un quelconque prophète. Seulement celles d’hommes communiant fraternellement. Un bon petit boogie woogie avant de ne pas faire la prière du soir, ça, ça ne fera de mal à personne